Archives mensuelles : juin 2018

The Keeper

© Antoine Repesse

Chorégraphie de Samar Haddad King et Amir Nizar Zuabi – répétitions ouvertes dans le cadre du dispositif la Fabrique Chaillot et du Printemps de la Danse Arabe de l’Institut du Monde Arabe.

La chorégraphe américano-palestinienne Samar Haddad King, poursuit son travail de recherche sur The Keeper/Le Gardien, travail engagé en collaboration avec le dramaturge Amir Nizar Zauabi. Elle présente le résultat de ce work in progress après un mois de résidence avec son équipe, dans le cadre de la Fabrique Chaillot. Sa réflexion touche aux relations qu’entretiennent tout homme et toute femme, à leur terre, à la notion d’identité et d’appartenance.

Quand on entre dans le Studio Maurice Béjart de la salle Firmin Gémier, l’ambiance est au travail : danseurs et acteurs s’échauffent. Deux trois fleurs blanches dans des pots, une armoire, un lit. Samar Haddad King et Amir Nizar Zuabi présentent le contexte de leur travail où deux disciplines se mêlent, la danse et le théâtre, deux mondes et processus différents.

Le spectacle s’ouvre sur un couple perdu dans une ville pleine de bruit et de fureur, au rythme d’un battement de cœur. Tout est affolé, les voitures, les travaux, il y a quelque chose de mécanique et de déshumanisé dans ce chaos. Ils arrivent dans une chambre où l’homme est contraint de s’étendre, souffrant. On est transporté dans le contexte d’un d’hôpital où le mot incurable est énoncé, où le couple se sépare. Il la remercie, elle est anéantie. Apparaît l’équipe médicale qui prend en charge le patient et le teste. Il résiste. On est dans le jeu et le geste contrasté, entre mobilité et immobilité – mobilité des gens du ménage et de leur phobie du propre, immobilité de l’homme et de la femme au charriot, comme pétrifiés. On ne sait ce qui est du fantasme ou de la réalité. Déformation, agitation, accélération, décélération se succèdent. Des fleurs blanches arrivent dans la chambre. Le symbole de la terre se met en marche.

La terre se renverse, à partir des fleurs d’abord, puis se déverse et se brise sous le lit comme une vague. L’un se couche et se recouvre de terre, s’enfouit, signe d’une mort annoncée. Imaginaire, visions, mirages, illusions ? Quatre personnes rampent comme des vers de terre. Lui, se recroqueville et s’efface, dans sa camisole chimique. Solos, duos et mouvements de groupe se succèdent dans ce contexte hospitalier fantasmé, entre fusion et dévoration. Dans le dialogue, celui qui écoute est comme possédé, celui qui s’adresse voudrait garder la maitrise. L’un parle, l’autre danse. L’élue, devenue autre, s’approche de lui en une danse érotique. Il reste sans réaction. Elle le recouvre de terre avec rage. Il se dégage.

S’ensuit une dernière séquence, celle de la mort. Des fleurs blanches se mêlent à la terre qui recouvre presque tout le plateau. Il se relève, prend une pelle sous son matelas et tient le rôle du fossoyeur. Il creuse sa tombe et raconte l’histoire de sa grand-mère : « On a enterré ma grand-mère j’avais quinze ans. Elle avait dix-sept ans de plus que moi… » Le texte arabe, sous-titré en anglais, s’inscrit en fond de scène. L’une des danseuses l’incarne et danse, comme désarticulée. Il jette sur elle de grandes pelletées de terre, comme il l’a fait peut-être sur la tombe de cette grand-mère bien aimée. Il la jette compulsivement et recouvre la danseuse, comme une emmurée vivante. Le geste est fort. Puis il agonise sur son lit, six personnes autour de lui, comme des âmes mortes. L’élue tente de le réanimer, prend son souffle au plus profond et respire longuement pour et avec lui, mais l’homme s’enfonce et disparaît, spectateur des derniers instants de sa vie.

Le jeu subtil qui se tisse entre danseurs et acteurs venant de tous les points du monde, dans ce travail encore en recherche, mène du réalisme à l’abstraction, du tragique au burlesque, du romantisme à l’excès. Très concentrés ils s’inscrivent dans ce mouvement perpétuel de la vie et de la mort où le geste parle et le mot divague, aux frontières de l’impuissance et de l’absurde. La terre est leur emblème en même temps qu’elle devient étrangère. « La terre nous est étroite » disait Mahmoud Darwich, « elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer. »

Danseuse et chorégraphe, Samar Haddad King fonde et dirige la compagnie Yaa Samar ! Danse Theatre (YSDT), basée entre New York et la Palestine, depuis 2005. Diplômée en chorégraphie du programme Ailey/Fordham Bachelor of Fine Arts de New York, sous la tutelle de Kazuko Hirabayashi elle s’est produite dans de nombreux lieux prestigieux aux États-Unis en même temps qu’elle travaille au Moyen-Orient. Elle a notamment présenté Catching the Butterflies pour Zakharif in Motion en Jordanie en 2010, et travaille en Palestine depuis 2012 où elle a présenté au Festival International de Danse Contemporaine de Ramallah From Dust, puis Bound en 2014, Playground pour le Festival international d’art vidéo et performance si:n en 2013 ; not/tob pour la Biennale Qalandiya Internationale de Palestine, en 2014. Elle développe des programmes d’éducation à la danse en Palestine et soutient le travail de jeunes danseurs palestiniens. Sa démarche à travers les pièces qu’elle présente est transdisciplinaire et trans-nationale elle se tisse étroitement au contexte social dans lequel elle vit. Sa collaboration avec Amir Nizar Zuabi, se développe depuis plusieurs années. Lui est auteur, dramaturge, metteur en scène et directeur du ShiberHur Theater Company. Il travaille entre autres au Young Vic et à la Royal Shakespeare Company de Londres, a présenté ses mises en scène au Festival d’Edimbourg et à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord. Il est engagé dans les réseaux européens de théâtre dont United Theaters Europe for artistic achievement.

La Fabrique Chaillot est un dispositif qui offre aux artistes un espace de recherche et un temps de réflexion, un nouveau programme, une belle initiative. Samar Haddad King et Amir Nizar Zuabi s’en sont emparés pour développer un projet ambitieux et explorer un langage qui, entre théâtre et danse, pousse les limites du fond et de la forme pour porter leurs messages. L’Institut du Monde Arabe et sa première édition du Printemps Arabe de la Danse s’inscrit à point nommé comme partenaire.

    Brigitte Rémer, le 20 juin 2018

Chorégraphie : Samar Haddad et Amir Nizar Zuabi
- Avec Khalifa Natour, Samaa Wakeem, Mohammad Smahneh, Fadi Zmorrod, Ayman Safieh, Zoe Rabinowitz, Yukari Osaka

14 et 22 juin 2018, à la Fabrique Chaillot, Chaillot/Théâtre National de la Danse, 1 Place du Trocadéro. 75016. Paris – Métro : Trocadéro. Tél. : 01 53 65 31 00 – Site : www.theatre-chaillot.fr

 

Salon du Livre des Balkans

© Yves Rousselet

8ème édition du Salon du Livre des Balkans, les 25 et 26 mai 2018 à l’Inalco/Pôle des langues et civilisations, Paris 13.

Créé en 2011 par un connaisseur et grand passionné des pays Balkaniques, Pascal Hamon, la 8ème édition du Salon du livre des Balkans s’est déroulée les 25 et 26 mai 2018, croisant trois thèmes : Le Danube, Écrivains scénaristes et Les Fantasmes.

La manifestation rassemble chaque année des écrivains, éditeurs et libraires venant d’Albanie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Grèce, Kosovo, Macédoine, Monténégro, Roumanie, Serbie, Slovénie, Turquie ainsi que les acteurs de France s’intéressant aux littératures de ces pays. Ainsi l’association Albania qui porte le Salon, l’agence Botimpex, les Éditions franco-slovènes & Cie, Fondencre, l’Union des éditeurs de voyage indépendants qui fédère entre autres Intervalles, Géorama, Ginkgo, Bouts du monde, et beaucoup d’autres. Toutes initiatives contribuant à la promotion des écrivains de la région s’y diffusent, comme ce spectacle présenté par la Compagnie l’Embellie Turquoise à partir du texte de Matéi Visniec, La Femme comme champ de bataille. L’événement s’inscrit dans le paysage des salons littéraires impliqués dans cette région du monde. Son Comité d’Honneur se compose de Nedim Gursel, Maya Ombasić, Driton Kajtzazi, Jordan Plevnes et Michel Volkovitch. Il permet aux éditeurs et éditrices de présenter leurs catalogues, accueillent les auteur(e)s sur stand et les mettent en relation avec le public en organisant des signatures.

L’édition 2018 s’est ouverte sur un hommage au jeune photographe Jérémie Buchholtz, mort accidentellement en septembre dernier, qui avait présenté en ce même Salon du Livre des Balkans il y a deux ans, son travail sur Skopje, réalisé en 2013 à la demande de l’Institut français de la capitale macédonienne. De cette ville en partie rasée par un tremblement de terre, Jérémie Buchholtz rapportait, par images interposées, le choc culturel et architectural reçu en observant la ville et ses habitants : une ville coupée en deux par le fleuve Vardar qui accueille au nord la population musulmane et de l’autre côté, les Macédoniens orthodoxes. Il s’était alors posé la question : « Qui va à quel endroit ? » témoignant par ses photographies en noir et blanc, de la lumière et de l’identité macédonienne, dans sa diversité.

Emmanuel Bovet prend le relais cette année et présente les photographies de son voyage au fil du Danube, publié aux éditions Filigrane sous le titre East Stream. Le Fonds de dotation Agnès b en est partie prenante. Photographe et vidéaste, Emmanuel Bovet aime à montrer les paradoxes de la vie quotidienne à travers des thèmes éclectiques et à découvrir les réalités de la vie des gens, en Irak, au Japon et ailleurs, aujourd’hui en Europe centrale. Son travail témoigne ici du bouleversement des paysages traversés dans dix pays d’une Europe qui se réinvente – Allemagne, Autriche, Hongrie, Slovaquie, Croatie, Serbie, Roumanie, Bulgarie, Moldavie, Ukraine – et se fait l’écho des gens qu’il rencontre, sur l’eau et sur les routes. Ses photographies aiment à révéler ce qui est enfoui au plus profond et qu’on ne voit pas à l’œil nu, elles sont une invitation au voyage, une initiation. « Voyager, c’est peut-être être capable d’attendre, disponible, que se produise le mystère de cette sublime installation quand, au-dessus du miroir gris bleu de l’eau, délimité par le rythme des sphères rosies par le petit matin, un sfumato de brume vient estomper la lumière au réveil. Emmanuel Bovet dit que c’est le Danube. Il faut le croire » écrit Christian Caujolle, fondateur de l’Agence Vu, dans la préface du livre.

Le Salon est aussi un espace public de débats donnant lieu à de fructueux échanges : une table ronde sur le thème Le Danube au travers de ses villes et de ses populations s’inscrit dans le droit fil de l’exposition ; une Carte blanche à Paul Vinicius qui avait obtenu le Prix du Public 2017 et présentait cette année son recueil de poèmes, L’imperceptible déclic du miroir, publié aux éditions Charmides. Une table ronde sur le thème La Littérature roumaine actuelle, part de la spiritualité balkanique, qui a rassemblé de nombreux écrivains roumains présents sur le Salon comme Radu Bata, Florin Lazarescu, Cristina Hermeziu etc… avec la participation active de l’Institut Culturel Roumain de Paris. Une autre table ronde sur le thème des Écrivains scénaristes dans les Balkans, a donné lieu à de belles confrontations, une autre sur le thème : Les Balkans terre de fantasmes et terre de création, avec des lectures sur le thème, à travers l’œuvre de Feri Lainscek avec Halgato, d’Emmanuelle Favier avec Le Courage qu’il faut aux rivières, de Vesna Maric avec Bluebird, d’Ismail Kadaré avec Le Palais des Rêves.

Un hommage à Robert Elsie, né à Vancouver et disparu en 2017, a été rendu à ce grand érudit et traducteur, passionné d’Albanie depuis la fin des années 70. Il a notamment travaillé à Bonn sur la linguistique comparée et a publié plusieurs dictionnaires dont un Dictionnaire des religions, mythologies et folklore albanais, un Dictionnaire de la littérature albanaise en deux volumes, un Dictionnaire biographique de l’Histoire albanaise, un Dictionnaire sur le Kosovo, à partir du conflit de 1998/99, donnant de précieuses informations sur les institutions, la géographie et les villes.

On peut noter la rencontre avec les élèves de l’école bulgare Cyrille et Methode de Paris, consacrée à la présentation de l’oeuvre de Yordan Raditchkov (1929-2004), une rencontre très suivie notamment par la communauté bulgare de la capitale. Par ailleurs deux Prix ont été, comme chaque année, attribués : Le “Prix du Public” 2018, à Jasna Samić pour Un thé avec Karpionović à Paris, texte choisi parmi dix autres en compétition : « … Dès que je lui verse du thé dans sa tasse, il me prend la main : Assieds-toi ici, juste un peu. Il est passé au tutoiement ! Il m’attire vers lui … » et le “Prix du Salon du livre des Balkans” à Milena Marković, auteure d’une pièce publiée aux éditions Espace d’un instant, intitulée La forêt qui scintille, qui fait se croiser, s’affronter et s’ignorer jusqu’au petit matin des personnages au bord du monde.

Au fil des ans, le Salon du livre des Balkans s’ancre un peu plus dans les territoires concernés, en dialogue avec la France et ses milieux littéraires. Il permet des synergies entre les auteurs, les éditeurs et les traducteurs et favorise la découverte de nouveaux textes et d’univers poétiques et littéraires singuliers. Il développe de nouveaux partenariats et permet la conclusion d’accords avec d’autres salons du livre dans le monde, présents dans les pays balkaniques. Une belle initiative, simple et obstinée, un vrai travail et de petits moyens, chaque pays comme un continent à découvrir.

Brigitte Rémer, le 15 juin 2018

Salon du Livre des Balkans, Pôle Universitaire des Langues et Civilisations Inalco- Bulac/ Bibliothèque universitaires des langues et civilisations 65 rue des Grands Moulins, 75013. Paris –  Métro : BNF François Mitterrand, sortie Chevaleret – www.livredesbalkans.net (entrée libre) – Organisation du Salon : Association Albania, 34 rue de Toul 75012 – Tél. 00 33(0)6 64 82 20 79.
 

 

D’Ici et d’Ailleurs

© Nabil Boutros

Manifestation d’artistes de rue les 19 et 20 mai 2018, à Garges-lès-Gonesse, mise en œuvre par la Compagnie Oposito.

Légères, vaporeuses, printanières et généreuses, ces 27ème Rencontres d’Ici et d’Ailleurs sont la bonne humeur même. Elles essaiment leurs figures d’excellence et leur esprit bon enfant dans différents quartiers de Garges-lès-Gonesse où la Compagnie Oposito et son Centre national des arts de la rue et de l’espace public a récemment élu domicile.

Le coup d’envoi est donné sur l’Espace Lino Ventura, avec un événement intitulé Gahareim, melting-pot. Oposito accueille le public : acteurs et actrices se présentent en couples du siècle passé, lui en frac et chapeau melon, elle en ombrelle rouge et petits gants de dentelles. Puis apparaît le Bagad de Plougastel en haut de la colline verte qui jouxte l’Esplanade, au son de la bombarde, de la cornemuse et de la batterie, donnant à ce Fest Noz francilien un petit air de noces champêtres. Le public emboîte le pas aux musiciens en une longue procession et se positionne face à un immeuble-barre d’une dizaine d’étages (rue Philibert Delorme). Là le spectacle commence, les habitants en sont les protagonistes, entourés de propositions artistiques – musiques, équilibres et danses de façades – auxquelles ils participent de manière complice. Entre ciel et terre, l’aventure verticale – orchestrée par la Compagnie Oposito, avec la complicité d’Antoine Le Ménestrel – donne le ton des deux journées festives proposées. On danse sur les toits, on entre chez l’un ou l’autre par effraction, on danse, on chante, on fait des discours, on s’interpelle. Puis chacun s’égrène dans les différents points de la ville où d’autres artistes et utopistes les attendent.

Invité d’honneur, Les Bâtons du Nil, Centre Medhat Fawzi de Mallawy en Haute Egypte, porté par la Compagnie El Warsha du Caire que pilote Hassan El Geretly, présente ses arabesques au son du mizmar, de la derbouka et du tambour. C’est un art ancestral l’art de la joute, en même temps qu’une danse remontant à l’époque pharaonique que l’on trouve sur les murs des temples de Louqsor. Dans la tradition de Haute et de Moyenne Égypte, l’assemblée forme un cercle et le Tahtib est de toutes les fêtes villageoises, garant d’un esprit de loyauté, de dignité et de fête. Il s’inscrit dans les rites populaires et le temps des campagnes, marque les événements de la vie sociale et familiale ou le temps de la vie collective, lors des victoires, jadis. Il possède un fort potentiel dramatique, théâtral et esthétique et la musique dialogue avec les participants. Dans cet Ici et ces Ailleurs une joute musicale entre le Bagad de Plougastel et les Bâtons du Nil a ensuite résonné, avec un bel esprit de synergie entre les cultures.

Chaque coin de rue à Garges-les-Gonesse a réservé ses surprises, en spectacle aérien acrobatique, théâtre et poésie de rue, déambulations en tous genres, parcours pour 215 bidons, 3 musiciens et 50 comédiens, concerts, manèges et performances, danse de façade. Un Cinématophone pas comme les autres se balade, fanfare électrolyrique où une Diva donne le la, entourée de huit personnages amplifiés et mobiles qui ne perdent pas le do de leurs amplificateurs sans fils. Pour l’inventivité, du street-art, avec le collage d’un journal mural et festif intitulé Qui cachons-nous ? réalisé par le Centre national d’études extra-terrestres et une Grande fresque mosaïque élaborée par les élèves du collège H. Wallon se sont affichés dans la ville. Pour la convivialité, un grand pique-nique du dimanche a eu lieu place de la Résistance.

Et quoi de mieux que ce petit moment de campagne au cœur d’une ville qu’a l’air d’un ange, comme un petit coin d’paradis, avec parapluie. Ne vous Opositez pas, vous seriez perdants !

Brigitte Rémer, le 10 juin 2018

Les 19 et 20 mai 2018, dans les rues de Garges-lès-Gonesse. Avec Générik Vapeur Les 30 ans de Bivouac, parcours émotionnel pour 215 bidons, 3 musiciens et 50 comédiens Centre Medhat Fawzi (Mallawy)/Compagnie El Warsha (Le Caire) Les bâtons du Nil, le Tahtib : joute, danse et art martial – Compagnies Oposito et Décor Sonore Le Cinématophone, fanfare électrolyrique pour une diva et 8 corps sonoresCompagnie Lézards Bleus Lignes de vie, danse de façade Les P’tits Bras L’Odeur de la Sciure, spectacle aérien acrobatique Python Prod État grippal, poésie de rueAction d’espace Souffle, déambulation danse théâtreDeuxième Groupe d’Intervention Le garçon qui veillait, théâtre de rueCompagnie des Ô (SH) Sherlock Holmes/son dernier coup d’archet, boniment forain et musical d’aventureCompagnie Raoul Lambert Titre définitif* (*Titre provisoire) concert de magie mentaleLes Fondeurs de Roue Le Manège Fondeur Blaster, art contemporain et art forain
Le Bagad de Plougastell Ensemble de musique d’inspiration traditionnelle bretonne -
Clara Desse, Adonaïs Yankan et Poonam Malpani CAP Live Performance.

Le Moulin Fondu Centre national des arts de la rue et de l’espace public / Compagnie Oposito, 3 rue Marcel Bourgogne, 95140 Garges-lès-Gonesse tél. : 01 80 96 16 30 site : www.oposito.fr

 

 

Le Cri du Caire

© Nabil Boutros

Abdullah Miniawy textes, chantPeter Corser compositions, saxophone, clarinette, voix – Karsten Hochapfel violoncelle, guitare –  un récital France-Égypte, dans le cadre du Festival La Voix est libre.

Après un récital à la Maison de la Poésie en avril et avant la Cour du Collège Vernet au Festival d’Avignon en juillet prochain, ce Cri du Caire a résonné avec toute sa force de conviction au Théâtre de la Cité internationale universitaire de Paris le 1er juin.

Écrivain, poète et slameur, Abdullah Miniawy qui écrit les textes et porte le chant, voyage et nous fait voyager à partir des mélodies soufies qu’il déstructure à sa manière. Originaire du Fayoum en Moyenne Égypte, porte-parole des jeunes deux ans après le soulèvement de 2011, il porte haut son manifeste de liberté et sa recherche de justice. Il les fait vibrer, les psalmodie, les crie. Sa démarche est engagée autant que rythmée.

Rock, jazz, poésie soufie et électro-chaâbi mêlés conduisent à un syncrétisme singulier et une démarche musicale personnelle empreinte de lyrisme et de spiritualité. Il s’entoure de musiciens hors-pair tels que Mehdi Haddab, virtuose de oud, Peter Corser au saxophone dont le souffle continu impressionne, Marie-Suzanne de Loye et sa viole de gambe, les cordes baroques de Karsten Hochapfel. La Voix est libre entre dans son univers et crée des connections depuis plusieurs années. Abdullah Miniawy s’est produit pour la première fois à Paris au Cirque Électrique en 2017, le son klezmer et jazz du clarinettiste Yom lui répond aujourd’hui accompagné de la danseuse Sandra Abouav. Abdullah Miniawy décline ses recherches et écritures métaphoriques, ses styles et rencontres musicales avec une puissance bien particulière dont on reste marqué. Il parle d’altérité.   

La découverte et la diffusion de cette voix rare et percutante dont la démarche politique engendre la démarche poétique ne se ferait pas sans le travail de la structure de production, L’Onde & Cybèle. Tête chercheuse des démarches singulières à partir de la voix, depuis 1999 et organisatrice de festivals de musiques en tous genres, elle crée La Voix est libre en 2002. Ce Festival, comme les autres manifestations portées par le travail sensible de la structure – dont Festival Jazz Nomades et Festival Rhizomes – a permis la mise en synergie d’artistes et de créations avec des publics jeunes. Invité en 2007, Édouard Glissant a qualifié le travail de La Voix est libre de « poétiques de la relation »D’une ville à l’autre et d’un pays à l’autre, L’Onde & Cybèle est interface entre les jeunes en recherche d’authenticité et de découverte à la recherche de formes emblématiques et de catharsis, et des artistes de tous horizons. Au-delà de la musique, la structure travaille dans la transversalité avec des artistes de tous styles et disciplines – du jazz et du hip-hop au chant lyrique et aux musiques traditionnelles, de la danse contemporaine et du cirque à l’art vidéo.

Au-delà de la force de la voix et du message d’Abdullah Miniawy, la soirée du 1er juin au Théâtre de la Cité internationale universitaire de Paris fut consacrée à d’autres grandes voix : celles de Ghalia Benali (avec Prabhu Edouard aux tablas et Claude Tchamitchian à la contrebasse) et celle de Mounir Troudi (avec Erwan Keravec à la cornemuse et Wassim Halal aux percussions). Dans Le Cri du Caire, création 2018 de La Voix est libre, Abdullah Miniawy était entouré de ses talentueux compagnons de route, ce soir-là Peter Corser et Karsten Hochapfel : le premier est anglais et apprend, très jeune, la clarinette et la guitare, puis le piano et le saxophone. Diplômé en arts du spectacle de l’Université de Leicester, option musique contemporaine, il passe six mois, déterminants, en Inde puis s’installe en France à partir de 1995 où il travaille avec différentes formations et chorégraphes dont Philippe Decouflé et Josef Nadj, avec des danseurs comme Mathieu Desseigne et Marlène Rostaing. Le second, Karsten Hochapfel est formé au conservatoire de Munich où il apprend la guitare jazz, la guitare classique et le violoncelle, puis joue dans de nombreuses formations de jazz et musiques du monde dont en septet avec des musiciens allemands et français. Il joue, arrange et compose pour des groupes de différents styles, avec une inventivité débridée.

La Voix est libre détient l’art et la manière de tenir le rôle de médiateur entre des personnalités et des musiques d’ailleurs, rares et percutantes, et des spectateurs attentifs et séduits par la découverte et l’émotion. Chaque soirée proposée est une nouvelle aventure où s’inventent des formes, des formats, des sons et des expériences, avec générosité et empathie et qui s’inscrivent dans une liberté de pensée et de parole dont on ne sort pas indemne.

Brigitte Rémer, le 10 juin 2018

1er juin 2018, Le Cri du Caire : Peter Corser, saxophone, clarinette – Karsten Hochapfel, violoncelle, guitare électroacoustique – Abdullah Miniawy, chant – Yom, clarinettes – collaboration artistique Blaise Merlin – texte Abdullah Miniawy – traduction Nabil Boutros – musique Abdullah Miniawy, Peter Corser – son Anne Laurin.

Et aussi :  Ghalia Benali et Mounir Troudi et leurs formations – le 6 juin 2018, Les Mains fertiles à la Maison de la Poésie/Paris – le 7 juin 2018, Le Bal des Électro (n) s Libres, au Cirque Électrique – le 9 juin 2018, soirée de clôture avec L’Atelier des Artistes en exil/Paris

Production L’Onde et Cybèle / Festival La Voix est Libre – 2/6 Rue Duc – 75018 Paris tél. : +33 (0)1.73.74.05.59. Site : www.festival-lavoixestlibre.com – Prochain récital Le Cri du Caire, le 17 juillet au Festival d’Avignon, Cour du Collège Vernet : site festival-avignon.com – tél. : +33 (0)4 90 14 14 14.

Birdie

@ Pascal Gorriz

Agrupación Señor Serrano, Espagne – création Àlex Serrano, Pau Palacios, Ferran Dordal. Dans le cadre des Chantiers d’Europe du Théâtre de la Ville – à l’Espace Cardin.

Le spectacle s’est monté à travers des workshops et des résidences de création réunissant des créateurs de différents pays et disciplines. Il a été présenté pour la première fois en juillet 2016 au Festival de Barcelona, GREC, qui se déroule chaque été, dans la ville. Dans Birdie, tout est image, l’acteur n’incarne pas, il montre, il démontre. Nous sommes conviés à une réflexion sur la fabrication des images et leur lecture. La théâtralisation est dans le texte et dans le nomadisme des caméras présentes sur le plateau, transmettant en direct sur un grand écran en fond de scène, des images. A ces prises de vue se superposent des séquences du célèbre thriller américain d’Hitchcock, Les Oiseaux. L’actrice principale, Tipi Hedren, en est le fil conducteur. Menace, tension et inquiétude dominent, pour parler de façon métaphorique de la crise des réfugiés et exprimer les sentiments contradictoires qui nous taraudent face à cette crise. Honte, rage, espoir, détermination et humanité se dégagent, à partir de la circulation des objets et de la construction d’un autre monde. La créativité est au rendez-vous.

Une console son, côté cour, des images qui se tournent en temps réel côté jardin, à partir de figurines de plastique-type animaux préhistoriques posés sur une table, des colonies de personnages et de petits objets qui envahissent toute l’aire de jeu pour évoquer cette fable métaphorique sur les migrations. De gros cargos débordant de monde, des images documentaires d’autrefois comme d’aujourd’hui envahissent l’écran, et se fondent dans la narration. Parle-t-on de l’humain, parfois réduit au rang d’animal ?

La scénographie est un terrain de golf au bord duquel se trouve un mur de séparation. On est à Melilla charmante ville de loisirs, indifférente à une nuée de migrants qui tentent de franchir la clôture de l’enclave espagnole. Deux artistes manipulent des objets, des caméras vidéo et construisent une maquette. Birdie est le trou de la balle de golf et le vol de l’oiseau/métaphore des envols, en bandes. Une narratrice parle en anglais et le texte, ici surtitré, est d’une grande justesse. Le spectacle débute par la sonnerie d’un réveil, celle du photographe partant sur le terrain. Il nous conduit au cœur de son rêve et de ses angoisses. La fin nous ramène dans la chambre du photographe.

Birdie est un exercice de simulation conduit par trois hommes et deux caméras dont l’une filme dès l’entrée des spectateurs et la bande son traduit le chaos de la pensée, pour celui qui migre comme pour celui qui le regarde. C’est un dialogue entre les nouvelles technologies et le bricolage conceptuel, une histoire de l’humanité. C’est un conte audiovisuel qui combine la manipulation d’objets sur des maquettes, des images préenregistrées, quelques séquences des Oiseaux et des extraits de l’interview du réalisateur. On y trouve l’ombre d’une personne, veste de survêtement rouge et jean et deux engins de grande intensité crachant du vent, qui illustrent la lutte pour la vie, et le drame qui souvent emporte les migrants. La perfection technique est là, dans une mise en scène et en images complexes, très réussies.

Le collectif Agrupación Señor Serrano a été fondé en 2006 à Barcelone, par Àlex Serrano. Lui a étudié la mise en scène et la communication. Le groupe propose un regard critique sur ce qui se passe dans le monde. A travers l’infiniment petit – la miniature – il parle, avec ingéniosité, de l’infiniment grand – le monde. Il a reçu, en 2015, le Lion d’Argent à la Biennale de Venise, et le Prix pour le Théâtre de la Ville de Barcelone, en 2017. Une démarche personnelle et singulière, chargée de ce qui agite le monde, aujourd’hui comme hier.

Brigitte Rémer

Avec : Àlex Serrano, Ferran Dordal, David Muñiz, Simone Milsdochter (voix) et A Paris figuration d’Agathe de Wispelcene – chargée de projet Barbara Bloin
- création illumination et vidéo Alberto Barberá – création son, bande sonore Roger Costa Vendrell – réalisation vidéo Vicenç Viaplana – maquettes Saray Ledesma, Nuria Manzano – costumes Nuria Manzano – conseillère scientifique Irene Lapuente/La Mandarina de Newton – conseiller du projet Víctor Molina – conseiller légaL Cristina Soler -assistante de production Marta Baran.

Les 17 et 18 mai 2018, Théâtre de la Ville/ Espace Cardin, 1 avenue Gabriel. 75008. Paris – métro Concorde – Tél. 01 42 74 22 77 – site theatredelaville-paris.com et www.srserrano.com